Conséquences économiques : deux experts face à face
« ON RESTE PARMI LES BONS ÉLÈVES »
« Cette dégradation était attendue, ce n’est en rien une surprise. Mais la perte du triple A épargne l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas ou le Luxembourg car ces pays ont des dettes publiques bien moins élevées qu’en France. Il faut toutefois relativiser cet événement car la dégradation n’est que d’un cran. La France reste parmi les meilleurs élèves du monde.
Cette baisse de note ne provoquera rien à court terme sur le refinancement c’est-à-dire sur le taux de l’argent que l’état emprunte sur les marchés. L’agence France Trésor qui est chargée de cette tâche emprunte déjà 1,2 point plus cher que l’Allemagne alors que nous avions jusqu’à hier la même note c’est-à-dire le triple A. C’est bien la preuve que les marchés financiers avaient déjà bien intégré la baisse de note française.
Je ne pense pas qu’ils réagissent encore ; la France continuera à emprunter à un bon taux. En revanche, la réaction à suivre sera celle du gouvernement. C’est le seul effet à très court terme que peut avoir la dégradation du triple A. Le gouvernement pourrait être tenté de prendre de nouvelles mesures d’austérité pour tenter de récupérer sa note. Selon toute vraisemblance, un tel scénario est peu probable sauf si les marchés financiers surréagissent et attaque fortement la dette française. Les conséquences les plus probables seraient le redémarrage des risques de contagion dans la zone euro.
La confiance des investisseurs risque de nouveau d’être mise à l’épreuve et de créer des remous. La bonne nouvelle est de voir l’euro baisser face au dollar redonnant de l’oxygène à nos exportations. »
Mathieu Plane, Économiste senior au Département analyse et prévision de l’Office français des conjonctures économiques (OFCE).
« C’EST GRAVE POUR TOUTE L’EUROPE »
« Cette dégradation est très grave pour la France mais aussi pour toute l’Europe. Pour la France d’abord car notre dette est moins bien notée et emprunter sur les marchés reviendra plus cher. L’Allemagne emprunte à 2 % actuellement, la France à 3,5 % mais l’Italie est déjà à 6 %. Nous voyons donc bien qu’il y a encore une marge de dégradation pour la France.
Au-delà de la France, cette dégradation replonge la zone euro dans l’incertitude. Le Vieux continent est de nouveau menacé par une crise de confiance sur les dettes publiques des états. Tous les mécanismes imaginés par Bruxelles pour contenir la contagion risquent d’être compromis. En effet, le soutien de la France au fonds européen de stabilité financière (FESF) perd de son importance. Ce fonds abondé par des pays triple A devait permettre à des pays qui n’étaient pas triple A d’emprunter à des conditions similaires de celles de l’Allemagne ou la France. Notre pays perdant sa note, l’équilibre est rompu. Par ailleurs, les banques françaises détiennent beaucoup de dette émise par la France.
Elles risquent de sortir fragilisées par cette dégradation. Sérieusement personne ne peut imaginer que la France ne rembourse pas sa dette.
Mais les marchés financiers imaginent toujours des scénarios catastrophes. Cette situation pourrait aussi amener le gouvernement à adopter un nouveau plan de rigueur ravivant les incertitudes des ménages qui consommeront moins et des entreprises qui stopperont leurs investissements. Les banques pourraient aussi restreindre le crédit octroyé à l’économie. »
Henri Sterdyniak, directeur du département « Économie de la Mondialisation » à l’OFCE.
Conséquences quotidiennes
Plus de triple A, plus de chocolats ? Attendue depuis près d’un mois, cette dégradation de la note du pays inquiète les Français. 66 % d’entre eux estiment que cette perte aura des conséquences majeures sur leur quotidien selon un sondage Ifop publié avant Noël. Qu’en est-il ?
> Sur l’épargne. Les contrats d’Assurance-vie, produits d’épargne jusque-là préférés par les Français, vont connaître une baisse de rentabilité. En effet, ces contrats intègrent des emprunts d’états, dont les taux vont encore augmenter. Ces contrats seront moins intéressants, tout comme les produits basés sur l’emprunt.
> Sur les crédits immobiliers. Mécaniquement, l’argent va devenir plus cher. Les banques devraient donc relever leurs taux sur les crédits immobiliers de 1 point. Ceux-ci devraient donc friser avec les 5 %, voire 5,5 % pour les crédits à plus de vingt ans.
> Sur les impôts et taxes. Dans les faits, la hausse a déjà commencé, avec le relèvement de la TVA à 7 % au lieu de 5,5 % dans la restauration. Mais celle-ci pourrait être encore plus marquée, pour faire face aux remboursements des intérêts de la dette. 1 % de plus sur les taux, c’est de suite 20 milliards de dépense supplémentaires à gérer.
> Sur l’emploi. Les entreprises vont souffrir de la hausse des crédits. Elles pourraient donc être tentées de reporter leurs investissements, surtout en période d’année électorale, et logiquement, d’embaucher moins. Pour un grand nombre, il est désormais urgent d’attendre…
source : ladepeche.fr